Introduction.
Notre référence commune est l’enseignement du pape François, qui faisant suite à de précédents enseignements magistériaux sur le soin et la protection de l’environnement et de la Création, publie le 24 mai 2015 l’encyclique Laudato si’ sur la sauvegarde de la maison commune. Nous sommes quelques mois avant la conférence de Paris appelée COP21.
Certains voient dans la publication de l’encyclique un geste prophétique, d’autres l’arrivée d’un document longtemps attendu aux côtés des déclarations des autres confessions chrétiennes et traditions religieuses. Ce dernier point n’enlève pas du document pontifical son caractère prophétique, dont nous pouvons toucher l’actualité grandissante depuis sa parution.
Avant de rappeler les grandes lignes du document, je souligne le défi que lance le pape. C’est pourquoi vous avez choisi l’écologie intégrale pour thème d’année.
Introduction au Chapitre 6. N°202. Beaucoup de choses doivent être réorientées, mais avant tout l'humanité a besoin de changer. La conscience d'une origine commune, d'une appartenance mutuelle et d'un avenir partagé par tous, est nécessaire. Cette conscience fondamentale permettrait le développement de nouvelles convictions, attitudes et formes de vie. Ainsi un grand défi culturel, spirituel et éducatif, qui supposera de longs processus de régénération, est mis en évidence.
C’est une évidence, nous ne pourrons répondre à ce défi sans la coopération de tous et spécialement des communautés éducatives et des familles.
Révisons le contenu de l’encyclique, pour mieux approcher la proposition de l’écologie intégrale.
Ch. 1 Tout va mal : climat, eau, biodiversité, inégalités sociales, etc.
Ch. 2 L’espérance chrétienne : le monde est sauvé, la Création et les hommes. La beauté à redécouvrir.
Ch. 3 Les causes: le cœur de l’homme est malade… dénonciation du paradigme technocratique. Le rapport entre l’homme et la technologie (pouvoir, biologie).
Ch. 4 Le chemin pour aujourd’hui: l’écologie intégrale.
Ch. 5 Quelques orientations. Dans un dialogue, prise en compte de l’environnement, inventer de nouvelles politiques, ne pas tricher, mettre politique et économie au service de l’homme. Faire dialoguer les religions et la science.
Ch. 6 Éducation & spiritualité écologiques. La conversion écologique.
1. Les enjeux de l’encyclique.
A. Intégration.
Le souci de l’environnement est présent dans l’enseignement du Magistère depuis le Concile Vatican II. Il faut noter en particulier le message de Jean-Paul II pour le 1er janvier 1990, deux années avant la conférence de Rio sur l’environnement; nous y trouvons déjà les grands axes de Laudato si’ ! Le Compendium de la doctrine sociale de l'Église, publié en 2004, consacre un chapitre à la sauvegarde de l’environnement (n°451-487). Nous dirions que grâce à la publication de l’encyclique Laudato si’, non seulement le souci de l’environnement est pleinement intégré à la doctrine sociale de l'Église, mais qu’il devient aussi une exigence de la vie chrétienne portée à la connaissance de tous. Vivre la vocation de protecteurs de l'œuvre de Dieu (…) n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne (LS n° 217).
B. Exhortation.
Le réveil des catholiques, qui auraient pu oublier ou relativiser cette dimension, ne s’est pas fait attendre. De très nombreuses initiatives sont apparues dans le monde entier, à côté des initiatives ou expériences non moins nombreuses de la société. Des saisons plus chaudes qu’à l’habitude ont permis, au moins dans nos pays occidentaux, de faire grandir la conscience écologique de la population, toutes appartenances confondues.
Le chrétien s’est réapproprié la responsabilité du soin de la Création. Le pape a voulu inscrire dans le calendrier une journée de la Création (le 1er septembre) et, chez nous, une Saison de la Création allant du 1er septembre jusqu’à la fête de saint François d’Assise, le 4 octobre. Permettez-moi d’y voir un renouvellement des traditionnelles Rogations, célébrées après la fête de l’Ascension, qui ne remplissaient plus leur office dans un monde ou la ruralité paysanne a disparu.
C. Communion.
Le texte du pape François a été salué unanimement par tous les milieux y compris par les non-chrétiens. De fait il nous concerne tous ( 202 – La conscience d'une origine commune, d'une appartenance mutuelle et d'un avenir partagé par tous, est nécessaire). A l’exception des chapitres 2 et 6 adressés à ceux qui partagent la foi chrétienne, l’ensemble du message peut être reçu par les croyants dont le pape dit qu’ils sont la majorité des habitants de la planète (n°201), appelant par la même occasion au dialogue entre les religions et la science. Enfin soulignons que des mouvements explicitement non-croyants (agnostiques ou athées) ont été inspirés par l’encyclique dans ses analyses politiques et sociales. Pour le mentionner au moins une fois dans ce texte, le pape se défend d’avoir écrit une encyclique verte; il s’agit d’une encyclique sociale, la justice devant être intégrée aux questions environnementales pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres (n°49).
D. Conversion.
L’appel fait aux chrétiens au chapitre 6 de Laudato si’ est clairement celui d’une conversion écologique, la crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure (n° 217). Le thème de la conversion est très présente dans la pensée et l’enseignement du pape François; comprenons ici que notre conversion au Christ, constamment à reprendre au cours de notre parcours de vie chrétienne, se colore nécessairement aujourd’hui de la dimension écologique. Je ne peux servir mes frères en humanité sans me préoccuper de la situation de la planète. Et cela implique des changements radicaux de notre manière de vivre, au moins pour nous en occident. La voie de la sobriété heureuse – terme repris à Pierre Rabhi – exprime la démarche anti consumériste que nous avons à choisir et que déjà beaucoup de jeunes ont adoptée, souvent sans être chrétiens. Frère François, François d’Assise, donné comme saint patron aux écologistes par Jean-Paul II, revient en devant de scène comme exemple de la spiritualité écologique.
E. Mission.
Au final, nous comprenons l’enjeu du défi éducatif où l’écologie doit être servante du développement humain intégral.
2. L’écologie intégrale.
L’encyclique a deux manières de présenter l’écologie intégrale. L’une plus systématique au chapitre 4 mettant en lumière les différents niveaux de l’écologie qui sont tous liés entre eux. Le fameux « tout est lié » employé de très nombreuses fois par le pape François. Le terme intégrale invite à ne rien laisser de côté mais aussi à ne laisser personne de côté; l’idée d’intégration y est bien présente; il suffit de se référer à l’appel du pape François pour les immigrés. L’autre manière plus existentielle consiste à étudier toute question en tenant compte de nos rapports à la nature, à nous-mêmes, aux autres et à Dieu comme Créateur.
A. Interdisciplinaire.
L’approche globale de l’écologie ne doit pas diminuer l’importance du travail des spécialistes, mais elle est nécessaire pour discuter avec honnêteté des conditions de vie et de survie de la société (n°138). « Tout est lié » est un constat que l’on découvre d’abord dans la nature et dans la richesse de ses écosystèmes et ce constat, fait aussi au niveau de la mondialisation contemporaine, prend valeur de principe pour la réflexion, la recherche et la construction du bien commun, principe propre de l’éthique sociale.
Ainsi l’encyclique présente ensemble l’écologie environnementale, économique et sociale. Puis après avoir situé l’écologie culturelle présente l’écologie de la vie quotidienne qui en relation avec l’environnement et la culture doit favoriser la qualité de la vie humaine. L’importance de l’écologie humaine ne doit pas voiler les conditionnements majeurs de l’environnement. Un point me paraît capital à souligner par rapport à l’éducation, celui du lien fait par notre corps entre la nature et la personne humaine; c’est lui qui nous met en relation directe avec l’environnement et avec les autres vivants (n°155).
B. Relationnelle.
L’autre présentation de l’écologie intégrale est celle de la boussole (ou du tétraèdre). Le pape dans son langage simple utilise 8 fois cette formule et l’explique en s’appuyant d’une part sur les trois dimensions structurelles de l’être humain (terrien, divin et social) et d’autre-part, sur le déséquilibre advenu entre elles en raison du péché. Il parle donc de la nécessité de quatre réconciliations : avec la terre, avec soi-même, avec les autres et avec le divin.
Présentée par l’image de la boussole, nous repérons le lien entre la réconciliation avec soi-même et la réconciliation avec le Créateur. De même l’opposition symétrique entre la terre/nature et les autres, illustre le lien entre la clameur de la terre et celle de pauvres.
Encore, ici, tout est lié, nous ne pouvons étudier, chercher, avancer et construire en oubliant un de ces quatre liens fondamentaux. Peut-être est-ce là aussi un précieux guide pédagogique ?
C. Equivoque ?
En France, le terme d' »écologie intégrale » a et continue de susciter des controverses liées à des options politiques et sociétales. Il est revendiqué par les catholiques se référant à l’autorité de l’encyclique, et ce courant assume l’enseignement de l'Église sur la protection de la vie de la conception jusqu’à la mort naturelle (cf. n° 120). Parfois ce courant se rapproche de celui de « chrétiens sociaux » des générations plus anciennes.
D’un autre côté, des autorités scientifiques et politiques revendiquent le même terme d’écologie intégrale pour promouvoir une écologie où le féminisme est la force centrale. L’émancipation des femmes, celles-ci ayant été dominées comme la nature, est un outil très puissant pour la mise en œuvre d’une écologie intégrale.1
L’écologie et l’éthique se rencontrent nécessairement, mais s’accordent de façons différentes selon les fondements anthropologiques qu’elles défendent. Néanmoins le terme même d'écologie “intégrale” abolit les frontières politiques et invite au dialogue.
3. Éducation et spiritualité écologiques; le rôle des communautés éducatives.
Je n’appartiens pas à un corps enseignant, ni ne suis responsable d’une aumônerie scolaire, la réflexion qui suit est donc tout à fait partielle et se veut une invitation à initier des processus en correspondance à l’écologie intégrale.
A. Prise de conscience.
Comme chacun d’entre nous, pour la grande majorité, nous avons à nous approprier l’encyclique Laudato si’. La travailler en groupe est peut-être le moyen le plus efficace pour la découvrir et la mettre en œuvre ? Nous devons la recevoir comme une lumière pour avancer et construire, non comme un document prémonitoire d’évènements qui se déroulent sous nos yeux. Tous profiteront des passages explicitant, pour notre temps de crise, l’espérance chrétienne.
B. Une conversion communautaire.
La conversion écologique est difficile; nous sommes tous nés consuméristes et regardons la fragilité de la société en nous demandant ce qu’il y aura après et pour nos enfants ? Comment intégrer la conversion écologique dans un projet pédagogique ? Il s’agit, nous dit le pape, d’éduquer à l’alliance entre l’humanité et l’environnement. Le programme est annoncé au n°210 de l’encyclique.
C. Cohérence écologique et enseignement durable.
Il me semble que ce travail doit se faire à deux niveaux; peut-être est-ce un peu schématique ?
D’abord le niveau économique et social de la vie de l’établissement : des bâtiments aux transports, du chauffage à l’intendance, du choix des élèves aux rapports parents/enseignants, de la responsabilité de chacun à la protection du plus faible, etc… A ce niveau l’engagement des jeunes est indispensable, et peut être redoutable ! Heureusement redoutable ! Ils ont une ardeur qui nous oblige parfois à aller plus vite dans les changements nécessaires. Cf. Greta Thunberg et les grèves pour le climat !
A l’exemple du diagnostique « Église Verte » proposé aux paroisses, nous pourrions faire un audit écologique de nos établissements ? Nous pourrions repérer des lieux de la vie quotidienne où la réflexion de chacun permettrait d’unir encore la communauté dans son ensemble. A travers des chantiers communs, au service du bien commun de l’établissement et de la planète, vous favoriser l’apprentissage à la responsabilité et à la prise de décision.
Où trouver le temps pour ces rencontres ? Pour préserver l’emploi du temps académique ? …. Une question de priorités.
Un deuxième niveau serait celui de l’enseignement libre/catholique en tant que tel: la formation chrétienne des jeunes dans une communauté unie autour d’un même projet. A l’exemple de l’encyclique qui s’adresse aux chrétiens, aux croyants et aux non croyants, l’écologie offre une magnifique opportunité de rassembler dans une même réflexion les jeunes de différentes origines que vous accueillez dans vos établissements. La boussole de l’écologie intégrale est universelle et œcuménique. Il nous faut utiliser souvent les deux prières proposées par le pape à la fin de son texte, l’une pouvant se dire avec tout croyant- prière pour notre terre -, l’autre nous unissant la Création au mystère de la Trinité – prière chrétienne avec la Création -.
D. Des portes d’entrée pour l’évangélisation.
Habitués sans doute à la distinction entre culture religieuse et catéchèse, il me semble que l’écologie intégrale offre, en culture religieuse, un immense programme particulièrement nécessaire pour affronter le monde de demain. Je mentionnerai seulement quelques thèmes de ce programme.
– Comme indiqué par le pape au n°215 de l’encyclique, il ne faut pas négliger la relation qui existe entre une formation esthétique appropriée et la préservation de l’environnement. C’est peut-être le point le plus difficile à convertir chez nous-mêmes et chez nos jeunes; notre habitude à utiliser en oubliant d’admirer et de contempler dans la gratuité. Sans cette éducation le paradigme consumériste continuera de progresser ! Porte d’entrée à l’accueil de la vie (dans la nature et chez les êtres humains), pour la prière, la méditation, l’oraison !
– Par l’écologie intégrale nous avons avec les autres traditions religieuses un accès commun à la question des origines de l’univers et de la Création. Loin des débats théologiques, nous avons à redécouvrir la Nature, à nous relier très concrètement avec elle, à en approcher l’harmonie et la complexité, pour ultimement reconnaître qu’elle nous précède et nous est donnée, fruit de l’amour d’un Créateur (n°76-83).
– A l’heure où les questions anthropologiques sont honteusement présentées par beaucoup de médias et où les jeunes ont peu de moyens de discerner le vrai du faux, l’écologie permet de refonder la réflexion sur l’être humain, élément de la nature aux côtés des autres êtres vivants. Certes le chantier est vaste, philosophique, mais nous ne ferons pas l’impasse de ce travail pour le développement de tout l’homme, selon les orientations même de l'Église (je veux mentionner le lien entre foi et raison). En pastorale, peut-être avez-vous déjà constater combien il est plus facile de débattre de la question climatique ou énergétique que de la question de l’orientation sexuelle ?….
– L’éducation plus que l’enseignement regarde l’acquisition des vertus; Le pape François rappelle ici l’importance de la famille. Il cite aussi l’humilité, la simplicité et la sobriété comme vertus de la spiritualité écologique (n°211). L’éducation aux vertus est principalement promue et enseignée par l’exemple. L’exemple des parents, des communautés éducatives, des témoins de notre temps, des jeunes eux-mêmes capables de se motiver pour de grandes causes, etc.
Peut-être pouvons-nous utiliser davantage en catéchèse les saints de l’écologie ? Dans notre tradition et au-delà d’elle saint François d’Assise; il est notre maître pour se réconcilier avec la nature ! Je voudrais citer sainte Hildegarde de Bingen, donnée par Benoit XVI comme sainte et docteur de l'Église; par son attention à la santé du vivant corps-âme-esprit, nous pouvons nous inspirer de son enseignement pour une réconciliation avec nous-mêmes. Enfin saint Benoît, maître de vie spirituelle et de vie communautaire, peut-il nous mettre sur le chemin de la réconciliation avec les autres ?
Frère Marie-Benoît Bastier c.s.j.
1 Delphine BATHO, Ecologie intégrale, le Manifeste, Ed. Du Rocher, 2109; postface de Dominique BOURG. Lire aussi L’écologie intégrale n’est pas ce vous croyez, par Collectif, dans journal La Croix, 24 juillet 2018.